
Face à l’augmentation des impayés dans le monde des affaires, la procédure d’injonction de payer s’impose comme un mécanisme judiciaire privilégié pour les créanciers. Cette voie procédurale simplifiée permet d’obtenir rapidement un titre exécutoire sans passer par un procès traditionnel. Instaurée pour désengorger les tribunaux tout en garantissant aux créanciers un moyen efficace de recouvrer leurs créances, cette procédure connaît un succès grandissant. Entre avantages procéduraux et conditions strictes d’application, l’injonction de payer représente aujourd’hui un outil juridique incontournable dont la maîtrise s’avère fondamentale tant pour les professionnels du droit que pour les entreprises confrontées aux problématiques d’impayés.
Fondements juridiques et champ d’application de l’injonction de payer
La procédure d’injonction de payer trouve son cadre légal dans les articles 1405 à 1425 du Code de procédure civile. Cette procédure s’inscrit dans une volonté législative de faciliter le recouvrement des créances tout en désengorgeant les tribunaux. Son principe fondamental repose sur l’obtention rapide d’une décision de justice contraignant le débiteur à s’acquitter de sa dette sans passer par les longueurs d’une procédure contradictoire classique.
Le champ d’application de cette procédure est précisément délimité par la loi. Elle concerne exclusivement le recouvrement des créances contractuelles ou résultant d’une obligation statutaire et ayant une cause déterminée. La Cour de cassation a clarifié à plusieurs reprises les contours de ce dispositif, notamment dans un arrêt du 28 novembre 2012 où elle précise que « la créance doit être certaine, liquide et exigible au jour de la requête ».
Plusieurs types de créances peuvent faire l’objet d’une injonction de payer :
- Les créances issues de contrats commerciaux
- Les loyers impayés
- Les factures non réglées
- Les échéances de prêt non honorées
- Les cotisations statutaires impayées
En revanche, sont exclues les créances d’origine délictuelle ou quasi-délictuelle. De même, les créances indéterminées ou celles nécessitant une évaluation judiciaire préalable ne peuvent faire l’objet de cette procédure simplifiée.
Le montant de la créance n’est soumis à aucun seuil minimal ou maximal, ce qui rend cette procédure particulièrement adaptable. Toutefois, la pratique montre que son utilisation est plus fréquente pour des sommes moyennes, les très petites créances faisant davantage l’objet d’un abandon de poursuite pour des raisons économiques, tandis que les créances très importantes sont souvent traitées par des procédures plus traditionnelles permettant un débat contradictoire approfondi.
La compétence territoriale pour cette procédure appartient au juge du lieu où demeure le débiteur ou l’un des débiteurs poursuivis. Quant à la compétence matérielle, elle est déterminée selon la nature de la créance : le tribunal judiciaire pour les affaires civiles, le tribunal de commerce pour les litiges entre commerçants ou relatifs à des actes de commerce, et le conseil de prud’hommes pour les créances liées au contrat de travail.
Une particularité notable existe pour les créances transfrontalières au sein de l’Union européenne. Le règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 a instauré une procédure européenne d’injonction de payer, permettant aux créanciers de recouvrer leurs créances non contestées dans les litiges transfrontaliers selon une procédure uniforme dans tous les États membres.
Déroulement et étapes procédurales de l’injonction de payer
La phase initiale : dépôt de la requête
Le mécanisme d’injonction de payer s’enclenche par le dépôt d’une requête auprès de la juridiction compétente. Cette requête constitue l’acte fondateur de la procédure et doit respecter un formalisme précis défini par l’article 1407 du Code de procédure civile. Le créancier ou son représentant (généralement un avocat ou un huissier de justice) doit indiquer avec exactitude les coordonnées complètes des parties, le montant précis de la créance et son fondement.
La requête doit impérativement être accompagnée des pièces justificatives établissant l’existence et le montant de la créance. Ces documents constituent le socle probatoire sur lequel le juge fondera sa décision. Il peut s’agir de contrats, factures, bons de commande, reconnaissances de dette ou tout autre document attestant de la réalité de la créance et de son caractère exigible.
Le dépôt de la requête peut s’effectuer au greffe de la juridiction compétente ou être adressé par voie postale. Depuis la modernisation des procédures judiciaires, certaines juridictions acceptent désormais le dépôt par voie électronique, notamment via le portail du justiciable ou des plateformes dédiées aux professionnels du droit.
L’examen de la requête par le juge
Une fois la requête déposée, le juge procède à son examen sans débat contradictoire – c’est là une caractéristique fondamentale de cette procédure. Il vérifie si la demande apparaît fondée au vu des documents fournis et si les conditions légales sont réunies.
Trois issues sont possibles à ce stade :
- Le juge peut accorder l’injonction de payer pour la totalité de la somme demandée
- Il peut l’accorder partiellement s’il estime que certains éléments de la créance ne sont pas justifiés
- Il peut rejeter purement et simplement la requête s’il considère qu’elle n’est pas fondée
La décision du juge prend la forme d’une ordonnance. En cas de rejet, celui-ci n’a pas à être motivé et ne fait pas l’objet d’un recours spécifique. Toutefois, cette décision n’a pas autorité de chose jugée, ce qui signifie que le créancier conserve la possibilité d’engager une procédure ordinaire pour faire valoir ses droits.
La signification de l’ordonnance
Si le juge fait droit à la requête, l’ordonnance d’injonction de payer doit être signifiée au débiteur par un huissier de justice dans un délai de six mois à compter de sa date d’émission, sous peine de caducité. Cette signification représente une étape cruciale car elle marque le début du délai d’opposition pour le débiteur.
L’acte de signification doit contenir, sous peine de nullité, diverses mentions obligatoires prévues par l’article 1413 du Code de procédure civile, notamment l’indication du délai d’opposition, ses modalités d’exercice et l’avertissement que, faute d’opposition dans le délai imparti, le débiteur ne pourra plus contester la créance et pourra être contraint de la payer par tous moyens légaux.
La signification peut être effectuée à personne ou à domicile. Dans ce dernier cas, l’huissier doit respecter les formalités prévues par les articles 655 et suivants du Code de procédure civile pour garantir que le débiteur soit effectivement informé de la procédure engagée contre lui.
L’opposition et ses conséquences
À compter de la signification, le débiteur dispose d’un délai d’un mois pour former opposition à l’ordonnance d’injonction de payer. Cette opposition se fait soit par déclaration au greffe contre récépissé, soit par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la juridiction.
L’opposition transforme la procédure unilatérale initiale en procédure contradictoire classique. Les parties sont alors convoquées à une audience où elles pourront présenter leurs arguments. Le juge statue ensuite comme dans un procès ordinaire, en confirmant, modifiant ou infirmant l’ordonnance d’injonction de payer.
Conditions de recevabilité et preuves requises
La mise en œuvre efficace d’une procédure d’injonction de payer repose sur le respect scrupuleux de conditions de recevabilité strictes et la présentation de preuves solides. Ces exigences formelles constituent le socle sur lequel s’appuiera le juge pour rendre sa décision sans débat contradictoire préalable.
Les caractéristiques essentielles de la créance
Pour qu’une créance puisse faire l’objet d’une injonction de payer, elle doit présenter simultanément trois caractéristiques fondamentales :
- Certaine : l’existence de la créance ne doit pas être sujette à contestation sérieuse
- Liquide : son montant doit être déterminé ou facilement déterminable
- Exigible : le terme de paiement doit être échu au moment du dépôt de la requête
La jurisprudence a progressivement précisé ces notions. Ainsi, dans un arrêt du 9 juillet 2015, la Cour de cassation a rappelé que « le caractère certain de la créance s’apprécie au jour de la requête en injonction de payer ». De même, concernant la liquidité, la Haute juridiction considère qu’une créance dont le montant peut être déterminé par un simple calcul mathématique remplit cette condition.
L’exigibilité suppose quant à elle que le terme contractuel soit arrivé à échéance. Toutefois, certaines situations peuvent rendre une créance immédiatement exigible avant son terme initial, comme la déchéance du terme prévue contractuellement en cas d’incidents de paiement répétés.
Outre ces trois caractéristiques, la créance doit avoir une origine contractuelle ou résulter d’une obligation statutaire. Les créances délictuelles ou quasi-délictuelles sont exclues du champ d’application de cette procédure, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 6 mai 2009.
La constitution du dossier probatoire
Le succès de la procédure d’injonction de payer repose largement sur la qualité et la pertinence des pièces justificatives présentées à l’appui de la requête. Ces documents doivent permettre au juge d’acquérir la conviction que la créance existe et qu’elle présente les caractères requis.
Selon la nature de la créance, différents types de pièces peuvent être produits :
Pour les créances commerciales, les factures, bons de commande, conditions générales de vente, bons de livraison et correspondances commerciales constituent le socle probatoire habituel. Il est recommandé de présenter une chaîne documentaire complète établissant clairement la relation contractuelle, les prestations fournies et leur acceptation par le débiteur.
Pour les loyers impayés, le contrat de bail, les quittances antérieures, les mises en demeure et le décompte précis des sommes dues sont généralement requis. La jurisprudence exige une démonstration rigoureuse du montant des loyers et charges réclamés, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 15 mars 2018.
Concernant les créances bancaires, le contrat de prêt, le tableau d’amortissement et le décompte des échéances impayées doivent être produits. Les tribunaux se montrent particulièrement vigilants sur la justification du taux d’intérêt appliqué et des pénalités éventuelles.
Il est fondamental que ces pièces soient présentées de manière ordonnée et cohérente, idéalement accompagnées d’un bordereau récapitulatif facilitant le travail d’analyse du juge. La pratique montre que les dossiers bien structurés obtiennent plus facilement une décision favorable.
Les obstacles potentiels à la recevabilité
Plusieurs écueils peuvent compromettre la recevabilité d’une requête en injonction de payer, au-delà de l’absence des caractères requis pour la créance.
La prescription constitue un obstacle majeur. Le créancier doit s’assurer que son action n’est pas prescrite, le délai variant selon la nature de la créance (5 ans pour les créances civiles et commerciales selon l’article 2224 du Code civil, 2 ans pour certaines créances professionnelles selon l’article L.137-2 du Code de la consommation).
L’existence d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) affectant le débiteur rend irrecevable la requête en injonction de payer, en raison du principe de suspension des poursuites individuelles. Le créancier doit alors déclarer sa créance selon les modalités prévues par le Code de commerce.
La clause attributive de compétence territoriale contenue dans un contrat peut également constituer un obstacle si la requête est déposée devant une juridiction différente. Toutefois, la jurisprudence a nuancé cette règle en considérant que le créancier conserve la possibilité de saisir le juge du lieu où demeure le débiteur, malgré l’existence d’une telle clause.
Enfin, l’absence de tentative préalable de règlement amiable peut, dans certains cas, constituer une fin de non-recevoir. Si l’article 56 du Code de procédure civile impose désormais de préciser les démarches de résolution amiable entreprises avant toute saisine du juge, la Cour de cassation a toutefois précisé, dans un arrêt du 11 octobre 2018, que cette obligation ne s’applique pas avec la même rigueur à la procédure d’injonction de payer.
Avantages stratégiques et limites de l’injonction de payer
L’injonction de payer représente un outil procédural dont l’utilisation relève d’un choix stratégique pour le créancier. Cette procédure présente des avantages significatifs mais comporte des limites qu’il convient d’analyser pour déterminer sa pertinence dans chaque situation particulière.
Les atouts procéduraux et économiques
La rapidité constitue l’avantage premier de cette procédure. Contrairement à une assignation classique qui peut nécessiter plusieurs mois voire années avant d’aboutir à un jugement définitif, l’ordonnance d’injonction de payer est généralement rendue dans un délai de quelques semaines après le dépôt de la requête. Cette célérité répond particulièrement aux besoins des entreprises confrontées à des problèmes de trésorerie liés aux impayés.
L’économie de moyens représente un autre avantage considérable. Les frais engagés sont significativement réduits par rapport à une procédure contradictoire classique. Le coût se limite essentiellement aux frais de greffe (modiques) et aux frais de signification par huissier. L’assistance d’un avocat, bien que recommandée pour optimiser les chances de succès, n’est pas obligatoire pour les juridictions où la représentation n’est pas imposée, comme le tribunal de commerce.
L’effet de surprise généré par cette procédure non contradictoire constitue un avantage tactique non négligeable. Le débiteur découvre l’action judiciaire uniquement lors de la signification de l’ordonnance, ce qui peut limiter sa capacité à organiser sa défense ou à dissimuler ses actifs. Cette caractéristique s’avère particulièrement utile face à des débiteurs de mauvaise foi.
L’obtention rapide d’un titre exécutoire représente l’objectif ultime de cette procédure. En l’absence d’opposition dans le délai d’un mois, le créancier peut solliciter l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance, lui conférant ainsi la même force qu’un jugement définitif. Ce titre permet alors de mettre en œuvre l’ensemble des mesures d’exécution forcée prévues par le Code des procédures civiles d’exécution : saisies sur comptes bancaires, saisies-ventes, saisies immobilières, etc.
Les risques et contraintes à anticiper
Malgré ses avantages, la procédure d’injonction de payer présente certaines limites et risques qu’il convient d’évaluer avant de s’y engager.
Le risque d’opposition constitue la principale incertitude. Si le débiteur forme opposition dans le délai légal, la procédure simplifiée se transforme en procédure contentieuse ordinaire, avec convocation à une audience et débat contradictoire. Cette situation peut entraîner un allongement significatif des délais et augmenter les coûts pour le créancier, notamment si l’assistance d’un avocat devient nécessaire.
Les difficultés de signification représentent un obstacle pratique fréquent. Lorsque le débiteur est introuvable ou que son adresse est inexacte, l’huissier peut être contraint de procéder à une signification à l’étude ou par voie d’affichage en mairie, ce qui fragilise la procédure. En effet, le débiteur pourra plus facilement obtenir l’anéantissement de l’ordonnance en démontrant qu’il n’en a pas eu connaissance effective.
L’exigence probatoire stricte constitue une autre contrainte majeure. Le juge n’accordera l’injonction que si les pièces produites établissent de façon suffisamment probante l’existence et le montant de la créance. Un dossier incomplet ou des preuves ambiguës conduiront au rejet de la requête, obligeant le créancier à s’orienter vers une procédure ordinaire.
Enfin, l’insolvabilité du débiteur représente une limite factuelle incontournable. Même avec un titre exécutoire en main, le créancier ne pourra recouvrer sa créance si le débiteur ne dispose d’aucun actif saisissable ou s’il bénéficie de protections légales comme le surendettement des particuliers. Cette réalité économique doit être évaluée en amont pour éviter d’engager des frais de procédure qui ne pourront être rentabilisés.
L’analyse coût-bénéfice et alternatives procédurales
Face à un impayé, le créancier doit procéder à une analyse coût-bénéfice rigoureuse avant d’opter pour l’injonction de payer. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte :
- Le montant de la créance par rapport aux frais de procédure envisagés
- La solidité des preuves disponibles
- La solvabilité présumée du débiteur
- La probabilité d’une opposition
- L’urgence du recouvrement
Des alternatives procédurales peuvent parfois s’avérer plus adaptées selon les circonstances. Le référé-provision constitue une option intéressante lorsque l’urgence est caractérisée et que l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Cette procédure, bien que contradictoire, permet d’obtenir rapidement une décision provisoire exécutoire.
La procédure européenne de règlement des petits litiges peut être privilégiée pour les créances transfrontalières inférieures à 5 000 euros. Elle offre un cadre simplifié et standardisé au sein de l’Union européenne.
Pour les créances de faible montant, le recours à un service de recouvrement amiable ou à la médiation peut s’avérer plus économique, tout en préservant la relation commerciale avec le débiteur.
Enfin, l’assignation au fond traditionnelle reste pertinente lorsque la créance est complexe, qu’elle nécessite une expertise ou lorsque des contestations sérieuses sont anticipées.
Perspectives pratiques et évolutions récentes de l’injonction de payer
La procédure d’injonction de payer connaît des évolutions significatives sous l’influence de la transformation numérique de la justice et des réformes législatives récentes. Ces changements modifient progressivement tant la pratique des professionnels que l’expérience des justiciables face à ce mécanisme procédural.
La dématérialisation et ses impacts
La numérisation de la justice touche désormais pleinement la procédure d’injonction de payer. Depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, complété par l’arrêté du 20 décembre 2019, les demandes d’injonction de payer peuvent être formées par voie électronique via le portail du Service d’Accueil Unique du Justiciable (SAUJ) ou la plateforme IP WEB pour les professionnels du droit.
Cette dématérialisation engendre plusieurs avantages pratiques. Le dépôt électronique permet un gain de temps considérable en évitant les déplacements au greffe et les envois postaux. Il facilite également le suivi en temps réel de l’avancement de la procédure via les espaces personnels sécurisés.
La gestion des pièces justificatives s’en trouve transformée. Les documents peuvent désormais être numérisés et transmis sous forme de fichiers électroniques, ce qui simplifie leur organisation et leur classement. Toutefois, cette évolution impose aux créanciers et à leurs conseils une rigueur accrue dans la numérisation et le nommage des pièces pour garantir leur lisibilité et leur identification par le juge.
L’expérimentation du tribunal digital, lancée dans certaines juridictions pilotes, pousse cette logique encore plus loin en permettant un traitement entièrement dématérialisé, de la requête initiale jusqu’à l’apposition de la formule exécutoire. Les statistiques préliminaires montrent une réduction significative des délais de traitement dans ces juridictions expérimentales.
Néanmoins, cette transition numérique soulève des questions d’accessibilité pour les justiciables non équipés ou peu familiers des outils informatiques. Pour y répondre, les points-justice et les maisons de justice et du droit proposent désormais un accompagnement spécifique aux personnes confrontées à la fracture numérique.
Les réformes procédurales récentes
Au-delà de la dématérialisation, plusieurs réformes substantielles ont modifié le régime juridique de l’injonction de payer ces dernières années.
La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 a introduit une innovation majeure avec la création d’une juridiction nationale spécialisée pour traiter les injonctions de payer dématérialisées. Ce tribunal judiciaire à compétence nationale devrait progressivement centraliser le traitement de toutes les requêtes formées par voie électronique, assurant ainsi une uniformisation des pratiques sur l’ensemble du territoire.
Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a apporté plusieurs ajustements techniques à la procédure. Il a notamment précisé les modalités d’opposition électronique et renforcé les mentions obligatoires devant figurer dans la requête initiale, particulièrement concernant l’identification précise des parties et le détail des sommes réclamées.
La jurisprudence a également contribué à faire évoluer la pratique. Dans un arrêt du 5 mars 2020, la Cour de cassation a clarifié les conditions dans lesquelles le juge peut accorder une injonction pour des intérêts contractuels, exigeant que le taux soit clairement mentionné dans la convention et que le décompte des intérêts soit précisément établi dans la requête.
Ces évolutions répondent à un double objectif : fluidifier le traitement des dossiers pour désengorger les tribunaux tout en renforçant les garanties procédurales pour les débiteurs. Elles s’inscrivent dans un mouvement plus large de modernisation de la justice civile visant à concilier efficacité et protection des droits fondamentaux.
Conseils pratiques pour optimiser les chances de succès
Face à ces évolutions, plusieurs recommandations peuvent être formulées pour maximiser l’efficacité d’une procédure d’injonction de payer :
Anticiper la constitution du dossier probatoire dès la formation de la relation contractuelle. Les créanciers avisés conservent systématiquement tous les documents attestant de l’existence de la créance (contrats signés, bons de commande, courriels de confirmation, etc.) et organisent un archivage méthodique de ces pièces.
Privilégier les mises en demeure formelles avant d’engager la procédure. Bien que non obligatoires, ces démarches préalables renforcent la position du créancier en démontrant sa bonne foi et peuvent parfois suffire à obtenir un paiement sans recours judiciaire. La lettre recommandée avec accusé de réception reste l’outil privilégié pour ces relances formelles.
Soigner la rédaction de la requête en détaillant précisément l’origine et les composantes de la créance. La pratique montre que les requêtes qui présentent un exposé clair et chronologique des faits, accompagné d’un décompte détaillé des sommes réclamées, obtiennent plus fréquemment une réponse favorable.
Organiser méthodiquement les pièces justificatives en les numérotant et en les accompagnant d’un bordereau récapitulatif. Pour les dossiers complexes ou volumineux, l’ajout d’une note explicative synthétique peut considérablement faciliter le travail d’analyse du juge.
Anticiper les difficultés potentielles de signification en vérifiant en amont l’adresse exacte du débiteur. Les bases de données publiques (registre du commerce, annuaire des entreprises) ou les services spécialisés de recherche d’adresses peuvent être mobilisés à cette fin.
Réagir promptement en cas d’opposition du débiteur en préparant immédiatement les arguments et pièces complémentaires pour l’audience contradictoire qui s’ensuivra. Cette réactivité peut s’avérer déterminante dans l’issue de la procédure.
Ces recommandations pratiques, issues de l’expérience des professionnels du recouvrement, permettent d’exploiter pleinement le potentiel de l’injonction de payer tout en minimisant les risques d’échec procédural.
Vers une maîtrise optimale du recouvrement judiciaire
Au terme de cette analyse approfondie, l’injonction de payer apparaît comme un outil procédural d’une remarquable efficacité lorsqu’il est manié avec discernement et rigueur. Cette procédure, située à l’intersection des préoccupations économiques des entreprises et des garanties fondamentales du procès équitable, continue d’évoluer pour répondre aux défis contemporains du recouvrement de créances.
La valeur ajoutée de cette procédure réside dans son équilibre entre simplicité formelle et protection des droits des parties. Pour le créancier, elle offre un chemin procédural balisé et relativement prévisible vers l’obtention d’un titre exécutoire. Pour le débiteur, le droit d’opposition constitue une garantie fondamentale contre les demandes infondées ou excessives. Pour le système judiciaire dans son ensemble, elle représente un mécanisme de filtrage qui permet de réserver le traitement contradictoire approfondi aux seuls dossiers qui le nécessitent véritablement.
Les professionnels du droit – avocats, huissiers de justice, juristes d’entreprise – ont un rôle déterminant à jouer dans l’optimisation de cette procédure. Leur expertise permet d’évaluer l’opportunité d’y recourir, de constituer des dossiers probatoires solides et d’anticiper les obstacles potentiels. Dans un contexte économique où la gestion du poste clients devient stratégique pour de nombreuses entreprises, ces compétences techniques s’avèrent précieuses.
La transformation numérique de cette procédure ouvre des perspectives prometteuses en termes d’accessibilité et d’efficacité. La dématérialisation complète du processus, de la requête initiale jusqu’à l’obtention du titre exécutoire, représente une avancée considérable qui devrait se généraliser dans les prochaines années. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de modernisation de la justice qui vise à la rendre plus réactive et plus proche des justiciables.
Les statistiques judiciaires témoignent de l’importance croissante de cette procédure dans le paysage contentieux français. Avec plus de 500 000 requêtes déposées annuellement, l’injonction de payer représente l’une des procédures civiles les plus utilisées. Son taux de réussite – environ 75% des requêtes donnent lieu à une ordonnance favorable, et seules 15% de ces ordonnances font l’objet d’une opposition – confirme sa pertinence comme outil de recouvrement.
Dans une perspective comparative, il est intéressant de noter que des mécanismes similaires existent dans la plupart des systèmes juridiques européens, avec des variantes procédurales qui reflètent les traditions juridiques nationales. L’injonction de payer à la française se distingue par son caractère non contradictoire dans sa phase initiale, contrairement au modèle allemand (Mahnverfahren) qui prévoit une notification préalable au débiteur avant la décision du juge.
Pour l’avenir, plusieurs évolutions semblent se dessiner. Le développement d’algorithmes d’aide à la décision pourrait transformer le traitement des requêtes les plus standards, permettant aux juges de concentrer leur attention sur les dossiers complexes. L’interconnexion croissante des bases de données judiciaires européennes devrait faciliter le recouvrement transfrontalier, enjeu majeur du marché unique. Enfin, l’émergence de plateformes privées de règlement des litiges pourrait offrir des alternatives complémentaires pour les créances de faible montant.
En définitive, la maîtrise de la procédure d’injonction de payer constitue un atout concurrentiel pour les entreprises confrontées au défi des impayés. Dans un environnement économique où la trésorerie représente souvent le nerf de la guerre, disposer d’outils procéduraux efficaces pour transformer rapidement une créance en titre exécutoire peut s’avérer déterminant pour la pérennité de nombreuses structures, particulièrement les PME et TPE qui constituent le tissu économique fondamental de notre pays.